C’est au Liberté de Rennes, à la sortie du tour-bus et à l’heure du petit-déjeuner, que j’ai eu la chance de rencontrer Aldebert quelques heures avant ses deux concerts de la journée. Entre deux cafés et un jus d’oranges fraichement pressées par ses soins, il a bien voulu me parler de sa vision de l’école, de l’éducation artistique, de la musique et de plein d’autres choses aussi.
Mais commençons par un sympathique voyage dans sa machine à remonter les tympans :
Aldebert, pour quelle raison as-tu accepté d’être l’artiste associé à Francos Educ et aux Enfants de la Zique cette année ?
(Cher lecteur si tu ne sais pas ce que sont Francos Educ et Les Enfants de la Zique, c’est que tu ne fréquentes pas assez devineoujesuis.fr. Tu peux te rattraper en jetant un œil sur ça. Et aussi lire cet article consacré à Albin de la Simone, associé au dispositif l’an dernier. En écrivant ces mots, je me rends compte qu’il faut peut-être s’appeler « Al… » pour avoir les honneurs de Francos Educ ! Les paris sont donc ouverts pour l’an prochain.)
Laissons maintenant la parole à Aldebert :
Je trouve que ma participation à ce dispositif est cohérente avec mon parcours. J’ai travaillé dans une école primaire au début des années 2000. J’étais animateur en emploi jeune. C’est là que j’ai commencé à écrire des chansons avec les élèves de grande section que j’avais le matin. C’était une petite école dans le village de Naizey-les-Granges. Et l’école s’appelle maintenant École Aldebert ! C’est hallucinant non ? Je n’en reviens toujours pas…
Plus tard, quand j’ai eu le statut d’intermittent et que ça a commencé à marcher pour moi, j’ai continué à animer des ateliers d’écriture de chansons dans des écoles et des collèges. C’était bien avant de faire Enfantillages. J’ai toujours eu un lien avec la pédagogie, la rencontre et l’animation. Et puis Enfantillages est arrivé… qui m’a marqué au fer !
Qu’est-ce que cela représente pour toi de savoir que tes chansons sont étudiées dans les classes ?
C’est incroyable ! Je suis vraiment surpris de cette attention portée à mes chansons. Surtout venant du corps enseignant ! Parce que quand je replonge dans mon passé d’écolier, j’étais loin d’être un modèle ! Mais j’ai trouvé cette voie, qui était en fait une issue de secours, et qui m’a permis de me réaliser dans une direction qui n’était pas proposée par le cursus académique.
Petit, je ne me voyais pas du tout chanteur. C’était quelque chose qui n’était pas fait pour des gens comme moi, c’est-à-dire des gens normaux ! Dans mon esprit, être chanteur c’était fait pour des gens très extravertis, avec beaucoup d’assurance et qui étaient d’un milieu différent du mien. Je viens d’un milieu modeste : on habitait dans un petit appartement vers Besançon. Et mes parents ne me voyaient pas du tout chanteur, ils ne m’auraient jamais dit : « Toi, tu es fait pour la scène ! ». Les choses se sont construites petit à petit, un peu par hasard, un peu par accident.
J’ai beaucoup de collègues chanteurs qui disent : «moi, je sais que je veux faire ce métier depuis que j’ai 5 ans». Alors que moi, pas du tout ! Par contre, j’avais un truc en moi qu’il fallait que j’exprime et une envie très claire de raconter des histoires. Mais de là à être sur scène devant des milliers de gens, ça continue à me faire très bizarre !
Peux-tu m’en dire davantage sur ta propre scolarité ?
Ce n’était pas la catastrophe mais je n’étais pas une flèche non plus ! Je n’étais pas un cancre. Par contre, je n’étais pas assidu non plus… Je pratiquais beaucoup l’école buissonnière et je prenais un malin plaisir à sécher l’école. J’aimais le fait de me dire que mes copains étaient en train de travailler pendant que moi j’étais sur le mirador que j’avais construit dans les bois. J’aimais sortir un peu des chemins. Je raconte ça dans mes chansons. Par exemple dans Les coups de pieds à la lune où j’évoque Tom Sawyer et Huckleberry Finn.
Je passe donc ma scolarité à sécher pas mal, à partir du CE2. Et puis je me mets à faire du dessin : mes années au collège et au lycée, c’est beaucoup de dessins : des annuaires entiers de bandes dessinées sur mes profs et sur les autres élèves. Je faisais aussi des cassettes audio sur lesquelles j’imitais les profs ! Je faisais leur voix, je faisais des chansons sur eux et je faisais tourner ça dans la classe. Pendant cette période, j’étais malgré tout un élève moyen.
Mais ça a basculé à l’adolescence et ça a commencé à craindre vraiment quand j’ai découvert la guitare électrique ! Je me suis mis à écouter du métal et j’ai adopté tout le décorum qui allait avec : les cheveux, les envies d’être subversif, la révolte, etc. En réalité, je n’avais pas vraiment de quoi me révolter avec mes parents parce qu’ils étaient super gentils et que j’avais tout ce que je voulais, d’autant plus que j’étais fils unique. Mais il y avait mon amour pour la musique et pour l’univers du métal qui est très théâtral.
J’adorais qu’il y ait des guitares pointues et qu’on puisse faire peur ! D’ailleurs quand je chante L’apprenti Dracula, je me retrouve un peu dans ce type de scénographie. Petite anecdote : hier soir, on regardait un reportage sur Ozzy Osbourne, le leader de Black Sabbath. Il y avait un extrait d’un concert des années 80 où il est avec une cape et où il y a des flammes et des fumées. C’est exactement ce que je présente sur la chanson L’apprenti Dracula ! A tel point que les collègues m’ont dit : « On voit bien où tu pompes tes idées ! ».
Pour en revenir à cette époque : je suis en seconde, je fais la moitié de l’année avant de me faire virer du lycée. Je fais une année de petits boulots. Je vais à l’usine travailler à la chaine pour la blanchisserie d’un hôpital. Et puis après je reprends les études par la petite porte. Ce qui me sauve c’est un CAP/BEP puis un bac pro Photo et Audiovisuel. Tout à coup, je me récupère, je me reconstruis et je trouve une voie qui est professionnalisante et qui me convient très bien. Du coup, je fais des images et je trouve un salut dans cette formation.
J’arrive enfin à être valorisé, ce qui n’était pas du tout le cas dans l’enseignement général. Et ça change toute ma vie ! Je ne suis plus l’élève au fond de la classe qui venait avec un coussin et Gun’s and Roses et dont les profs se moquaient. J’ai entendu des phrases très dures de profs qui me disaient : « T’es un futur chômeur, je ne parle pas aux futurs chômeurs », ça m’a beaucoup marqué.
Après ça, j’ai un peu travaillé dans des studios photos à Paris puis à Dijon. Et puis il y a l’armée qui me tombe dessus : je suis un des derniers à faire le service militaire. Ensuite, je tente le concours des Beaux-arts, je fais un peu de fac, je suis pion et puis je trouve ce fameux emploi jeune à l’école !
Dans le monde idéal d’Aldebert, comment se passerait l’éducation artistique ?
Déjà, il y aurait une place beaucoup plus importante accordée à ces activités au sein de l’école. Ça permettrait de valoriser les enfants qui ne le sont pas dans le chemin classique. C’est ce qui m’est arrivé… J’avais l’impression d’être dans un tuyau où il fallait être bon partout et je ne pouvais pas. Je pense que si j’avais eu une matière, comme la musique par exemple, ou une façon d’enseigner qui m’avait plu, ça aurait équilibré le reste. J’aurais pu y trouver l’énergie pour être bien en maths et dans les autres matières qui me paraissaient compliquées.
Mais le problème du système c’est qu’on peut difficilement faire du cas par cas et qu’il faut que tout le monde rentre dans le même tuyau. C’est dur parce qu’il y a plein d’enfants qui ne peuvent pas. En fait, je le vois bien quand je fais des ateliers d’écriture. Ça se lit dans les yeux de certains enfants : ils sont complètement à la rue. Ce sont des enfants qui ont plein de choses à dire mais qui n’arrivent pas à le faire dans ce contexte là. Parfois, pendant les ateliers d’écriture, ils sont valorisés. Et soudain, ils vont pouvoir s’exprimer et trouver des choses à dire, alors qu’ils n’y arrivent pas dans le contexte scolaire classique. Et, les autres élèves hallucinent !
Dans les pays du nord de l’Europe ou dans les écoles Montessori, on propose des choses différentes et des modèles davantage basés sur la bienveillance. C’est vraiment super. En France, on est tellement ancré dans un système historique ancien que ça semble difficile d’en sortir. C’est assez pessimiste ce que je dis ! Mais ce serait tellement bien de pouvoir faire du cas par cas et arriver à trouver les dispositions de chaque enfant pour tel ou tel domaine.
Ceci dit, pour avoir rencontré pas mal d’enseignants, j’ai quand même l’impression qu’il y en a beaucoup qui prennent les choses en main : ils appliquent leurs programmes mais ils en sortent aussi parfois pour proposer d’autres choses. Je pense au directeur d’école de mon village qui est en retraite depuis quelques années. Il avait des ruches et il emmenait les enfants cueillir le miel, il faisait aussi les championnats du monde de luge ! Il « oubliait » parfois de faire les dossiers officiels autorisant telle ou telle activité : il y allait et puis voilà. Sa démarche avait un côté un peu alternatif. Quand on a des enseignants comme ça, ça met le pied à l’étrier et ça donne envie. Et la motivation c’est la plus grande force. Si les enfants sont motivés, ils font n’importe quoi… Même des maths !
C’est aussi une question de personne. Quand j’étais animateur, j’étais dans une salle polyvalente près du couloir qui donnait sur les salles de classe et j’entendais tout : il y avait des enseignants qui passaient toute leur journée à hurler avec des classes où c’était le bazar. Et puis il y avait des classes où il n’y avait pas un bruit et où tout se passait hyper bien.
J’ai beaucoup d’admiration pour les enseignants. Moi je suis en spectacle pendant 1h30 ou 3h par jour alors qu’eux sont parfois en spectacle 6h par jour ! Il y a vraiment une analogie entre les deux. J’ai beaucoup de copains enseignants et je vois l’énergie que ça leur demande pour tenir une classe. C’est très proche de l’énergie que ça me demande pour tenir une salle pendant un concert. Je sais ce que ça représente pour l’avoir vu et l’avoir vécu.
Pour revenir aux élèves, et à ma scolarité, je dois dire que je me sentais vraiment bien en musique, en dessin et aussi dans les moments où on pouvait faire des exposés et se révéler un peu. J’aimais les petits espaces de liberté. J’adorais par exemple quand on nous demandait de raconter nos vacances de rêve ! J’aimais inventer et m’exprimer. Quand on pouvait faire ça, j’étais au paradis et j’étais hyper bien à l’école !
Te souviens-tu de la première fois où tu as assisté à un concert ?
Oui très bien ! Mon premier concert, c’était en 4ème : j’étais allé voir Trust. Ça devait être autour de 1985. J’étais dans ma phase métal. C’est drôle parce que dans l’album des 10 ans d’Enfantillages, j’ai fait une version de Super Mamie un peu punk avec Nono Krief le guitariste de Trust… Et voilà comment la boucle se boucle !
Enfantillages m’a aussi permis de rencontrer des gens que je rêvais de rencontrer dans des univers très différents : que ce soit Louis Chedid ou Dagoba ! Ce sont des gens que j’admire et qui sont presque opposés dans leur univers. Finalement Enfantillages, ça rassemble tout ça : à la fois des choses très douces et très poétiques et des choses très rock ou rigolotes. J’aime bien cette espèce de bestiaire d’énergies !
Comment as-tu basculé dans la musique en tant que musicien et chanteur professionnel ?
Ça a commencé pendant que j’étais animateur en école primaire. C’est à cette époque-là que j’ai fait mes premières armes en termes d’écriture. Je ne faisais pas encore de la chanson pour le jeune public. J’étais animateur la semaine et j’étais chanteur le week-end. Je faisais de la chanson française « classique ». Mais il y avait déjà des chansons sur l’enfance comme Rentrée des classes, Carpe diem ou Tête en l’air. Cette thématique devenait de plus en plus présente et je me suis dit que je devrais faire un album pour les enfants. Au début, on me l’a déconseillé. On m’a dit de me méfier, que j’allais être enfermé dans ce truc-là, que c’était une niche trop particulière, que ce serait dur et que ce n’était pas valorisant.
En fait, ça a été tout le contraire : je me suis trouvé artistiquement dans cet univers-là. Je m’adresse aux parents autant qu’aux enfants. Je n’exclus personne et je me retrouve dans quelque chose de très épanouissant avec une liberté incroyable ! D’abord une liberté dans l’écriture mais aussi une liberté dans la scénographie, parce qu’on peut faire beaucoup de choses et qu’on n’est pas cantonné à s’habiller en lapin ! L’énergie très rock d’Enfantillages plait aux parents qui s’y retrouvent bien. Du coup, je ne suis pas dans une chose compartimentée et fermée. Au contraire, c’est une grande ouverture et un espace créatif incroyable !
Cher lecteur, si tu as 4 minutes de plus à m’accorder, tu peux en savoir un peu plus sur la naissance des Enfantillages d’Aldebert en regardant cet extrait de la rencontre d’Aldebert avec le public des Francofolies de La Rochelle. C’était en juillet dernier, lors des conversations organisées en partenariat avec le Journal Le 1. Sinon, tu peux passer directement à la dernière question de mon interview, sous la vidéo !
Parmi les jeunes artistes de la scène française actuelle, quels sont ceux dont l’univers te touche particulièrement ?
Il y en a vraiment beaucoup. Je trouve que le hip-hop et la musique urbaine en général ont une belle évolution. Il y a beaucoup d’artistes qui ouvrent le champ à plein de couleurs différentes et c’est tant mieux ! Du coup, c’est un style qui se renouvelle et qui avance. Des gens comme Eddy de Pretto, Orelsan ou BigFlo et Oli décloisonnent beaucoup. Ils ne ghettoïsent plus cette musique comme ça a pu être le cas par le passé. Au contraire, ils ouvrent les horizons. L’année dernière aux Francofolies de La Rochelle, j’ai vu BigFlo et Oli et j’ai pris une grosse claque ! Il y avait beaucoup de familles et c’était très chouette. Ils sont vraiment fabuleux ces deux jeunes !
Mais j’écoute aussi beaucoup d’autres choses. Je suis très volage musicalement. Et ça tombe bien car Enfantillages me permet d’aller explorer pas mal de choses. En ce moment je prépare un Enfantillages autour du monde. C’est un gros dossier très compliqué mais l’idée est de faire évoluer mon univers et de l’emmener ailleurs.
Voilà c’est fini… Merci à Aldebert pour sa belle énergie, même en plein petit-déjeuner, et à Patricia pour avoir rendu ce moment possible.
On finit avec un très belle chanson d’Aldebert, parce que ce serait bête de s’en priver :