(*) … ou pourquoi avoir cherché un titre à cette interview d’ Albin de la Simone pendant plusieurs jours alors que celui de son dernier album (L’un de nous) en décrit parfaitement l’idée générale ?
La première fois que j’ai vu Albin chanter ses propres chansons sur scène, c’était en juillet 2010 aux Francofolies de La Rochelle. Il accompagnait Vanessa Paradis comme musicien lors de sa tournée acoustique et présentait aussi quelques chansons, seul aux claviers, en ouverture de soirée. Prise instantanément de monomanie compulsive, j’ai couru illico acheter sa discographie complète et je n’ai, depuis, jamais manqué une occasion de le voir en concert.
Peu d’artistes réunissent à ce point tout ce que j’aime : une musicalité sans faille qui pousse les tympans à l’extase, une simplicité infinie dans la relation qui se crée entre les humains qui sont sur la scène et ceux qui sont dans la salle, des textes finement ciselés qui frisent la perfection et l’humour qui perle dans et entre les chansons. Un mélange de naturel et de complexité, de légèreté et de puissance, de sobriété et de folie déjantée ! De la création artistique bio équitable en circuit court comme il le dit lui-même.
Albin de la Simone sur scène c’est un peu comme ça mais en plus long :
En plus de ses mille et une activités artistiques (il est par exemple artiste associé au Théâtre National de Bretagne à Rennes) et d’une tournée pléthorique qui est passée ou passera forcément près de chez toi (cours-y vite !), Albin de la Simone a aussi accepté cette année de travailler avec Les Enfants de la Zique. Il t’explique lui-même de quoi il s’agit :
C’est dans ce cadre, et grâce à une conjonction astrale favorable, que j’ai pu échanger avec lui début février (c’est drôle parfois le chemin invisible qui nous lie à un artiste…). J’avais envie d’en savoir un peu plus sur les raisons de son choix et sur son parcours musical et scolaire personnel :
Albin, que représente pour toi, le fait d’être l’artiste associé à Francos Educ et aux Enfants de la Zique cette année et qu’est-ce qui t’a amené à accepter cette proposition ?
Que ce soit moi ou quelqu’un d’autre, j’aime le principe de base qui est d’apporter de la chanson contemporaine à l’école plutôt que toujours les mêmes chansons plus anciennes. J’aime aussi vraiment la manière dont c’est fait et les moyens qui sont donnés pour ça : tout ce qui est proposé est incroyablement riche et précis techniquement. C’est une excellente base de travail avec une matière et des outils géniaux. J’ai été très impressionné de voir le dispositif. Et puis, l’idée que ces chansons qui sont apprises à l’école soient les miennes, évidemment ça me flatte ! Ça me fait très plaisir aussi d’imaginer que des enfants connaitront mes chansons, qu’ils réfléchiront aux paroles ou qu’ils apprendront peut-être à les jouer. Voilà c’est un mélange de tout ça : je trouve le dispositif super et je suis hyper touché qu’on me le propose à moi.
Avant cette proposition, avais-tu imaginé que tes chansons puissent être abordées ou travaillées en classe ?
Non ! J’ai une vision très « Brassens, Desnos, Prévert » de l’enseignement de la chanson. Je date d’un siècle lointain où ce n’était vraiment pas la même idée : on n’apprenait pas les artistes contemporains de l’époque comme Dick Annegarn par exemple. On n’apprenait que des choses plus anciennes qui avaient sans doute été difficiles à installer aussi à leur époque et pour lesquelles il avait sûrement fallu se battre. J’imagine que ça n’avait pas dû être facile d’installer Desnos et Prévert dans les écoles. Mais la bataille datait déjà de 20 ans. Avec Francos Educ, on se bat pour des chansons d’aujourd’hui et ça c’est vraiment génial.
N’as-tu pas craint que cela puisse dénaturer tes chansons de travailler dessus de manière scolaire ?
Non ! La manière dont je veux les faire connaitre, je la publie moi-même sur mes disques. Après, les gens peuvent chanter mes chansons comme ils veulent ! Une chanson peut aller dans un recueil que les gens jouent au coin du feu à la guitare et cela ne me concerne plus. J’ai donné la matière et je suis ravi d’imaginer que d’autres s’en emparent. Ce matin, je suis tombé sur Twitter sur quelque chose qui s’appelle le Chantier des Profs avec des enseignants qui reprennent le Grand Amour, c’est complément dingue ! Ce n’est évidemment pas comme ça que je la mettrais sur mon disque mais c’est extrêmement touchant de l’entendre dans cette version ! Je les chante de la manière dont je veux les chanter mais c’est tout à fait légitime de les reprendre autrement ou de travailler dessus.
Quels souvenirs gardes-tu de ta scolarité ?
Quand j’avais des supers profs, tout était super : on apprenait plein de choses et tout passait comme une lettre à poste, y compris l’enseignement des arts pour ceux qui étaient totalement allergiques à ça ! Par contre, quand on avait des enseignants moins supers, tout le monde s’ennuyait et c’était comme une punition. Même moi qui aimais la musique, je pouvais m’ennuyer et j’étais capable de terroriser mes profs de musique ! C’était pareil pour toutes les matières. Quand j’y repense, j’ai des souvenirs de violences incroyables ! Quand ils nous abordaient du mauvais côté, on était capables de faire pleurer les profs et d’être fiers de les avoir faits craquer…
Mais j’ai aussi des souvenirs collectifs, partagés par toute une classe, d’un prof de musique qui nous faisait écouter Jean-Sébastien Bach et tout le monde était captivé et très ému. J’ai donc été parfois très mauvais élève et parfois très bon élève, ça dépendait uniquement des profs ! Je crois que le tempérament, la culture et la formation des enseignants sont des choses très importantes.
Quels artistes écoutais-tu quand tu avais 10 ans ?
J’avais 10 ans en 1980. A cette époque, j’étais à fond sur 3 artistes : tout d’abord Kiss, qui venait de sortir I was made for lovin’ you. J’avais l’album et c’est devenu une sorte de folie : j’achetais tout, je faisais les vide-greniers et j’ai fini par avoir 13 albums. J’étais totalement monomaniaque ! J’adorais aussi Téléphone. C’était l’époque de La bombe humaine et de l’album noir Au cœur de la nuit, dans lequel il y avait cette chanson qui disait : « j’avais un ami, dam dam dam dam, mais il est parti » et aussi « Argent trop cher».
En même temps, j’écoutais aussi beaucoup Higelin que je venais de découvrir et qui venait de sortir Champagne. Plus tard, je me suis ouvert à d’autres chanteurs français comme Charlélie Couture, Jean Guidoni et Thiéfaine… tout en continuant à écouter encore et encore Kiss ! J’ai mis longtemps à lâcher l’affaire !
Te souviens-tu de la première fois où tu as assisté à un concert ?
Des concerts j’en ai vus beaucoup quand j’étais tout petit : mon père jouait du jazz Nouvelle Orléans dans des Clubs Med notamment. On partait gratuitement en vacances, été comme hiver, parce que mon père jouait avec son groupe tous les jours à l’apéro dans des clubs de vacances ! Je voyais donc beaucoup de concerts mais c’était les concerts de mon père, ce qui faisait que c’était un peu banalisé. Le premier concert dont je me souvienne vraiment, j’avais une dizaine d’années. C’est ma mère qui m’y a emmené : c’était un concert d’Alain Souchon et Laurent Voulzy. Ils faisaient une tournée ensemble, avec le même groupe de musiciens. Voulzy jouait en première partie de Souchon.
Il y a aussi quelqu’un d’autre que j’aimais beaucoup mais dont on parle rarement et que j’ai vu en concert à la même époque avec ma mère, c’était Mama Béa. Elle avait une voix très rauque avec une super musique et des supers arrangements que j’adorais ! Ça me faisait vraiment voyager.
As-tu une chanson-doudou, c’est à dire une chanson qui t’accompagne depuis toujours et qui remonte régulièrement à la surface ?
Il y en a beaucoup… Mais si je devais n’en citer qu’une, ce serait une chanson d’Alain Souchon justement : Frenchy Bébé blues, une chanson à laquelle je suis lié par plusieurs angles. D’abord, c’est une des premières chansons que j’ai su jouer au piano ! Mon père m’apprenait à jouer des accompagnements un peu jazz et ragtime et cette chanson est un peu écrite comme ça. J’avais donc réussi à trouver les accords tout seul. Et puis, la chanson parle de la femme qu’il aime, de son couple, de son enfant, du fait qu’il est en tournée, avec cette phrase qui dit : « qui c’est qui lit à Pierre le Petit Prince pendant que je fais le jeune en province ? ». Ce sont évidemment des thématiques qui m’ont parlé plus tard quand je suis moi-même devenu chanteur.
C’est aussi une chanson que j’ai proposé à Alain Souchon de jouer sur scène quand je l’accompagnais en tournée en tant que musicien, parce qu’elle me rappelait mon enfance. Il a accepté et on finissait le concert tous les deux en jouant cette chanson ! C’est une espèce de boucle assez dingue dans ma vie de me retrouver à jouer cette chanson en public avec Souchon !
A 17 ans, quels artistes écoutais-tu ?
Quand j’étais en 1ère, j’écoutais beaucoup de punk. Mon groupe préféré s’appelait Crass mais c’était également l’époque des Beruriers Noirs. J’écoutais aussi des choses un peu plus douces comme The Cure. Bizarrement, parallèlement à tout ça, je découvrais le jazz contemporain : j’écoutais Michel Portal et Henri Texier car la Maison de la culture de ma ville, Amiens, les mettait très en avant. D’ailleurs elle avait, et a toujours, un label de jazz qui s’appelle le Label bleu. C’est ce qui fait qu’il y a une vraie culture amiénoise du jazz contemporain. En fait, j’étais un peu dans deux extrêmes et du coup j’écoutais assez peu de pop ou de variété.
Y a-t-il eu un déclic : quelque chose ou quelqu’un qui t’ait donné envie de transformer ton intérêt pour la musique en métier ?
En fait, il y a eu plusieurs rencontres au même moment : des gens avec qui j’ai eu envie de faire de plus en plus de musique et de moins en moins d’arts plastiques, domaine auquel je me destinais au départ. Ça s’est justement passé quand j’avais à peu près 17 ans. J’avais mon école à terminer pour avoir à la fois mon bac et mon diplôme d’arts plastiques. Et je jouais aussi dans un orchestre de jazz avec une trentaine de collégiens et de lycéens d’Amiens : le Big Band des Collèges et Lycées. On faisait des tournées pendant l’été et les vacances.
C’était assez pionnier à l’époque et ça a été une expérience d’adolescent extraordinaire, comme une colo mais où on jouait de la musique tous les soirs. On a dû faire 150 concerts ensemble, on a même joué au New Morning et enregistré un disque ! Dans ce big band il y avait aussi Philippe Jelmoni , qui est ensuite devenu un des instigateurs des Chroniques Lycéennes et du prix Charles Cros des lycéens et avec qui je suis d’ailleurs allé il y a quelques années à Chef-Boutonne rencontrer des élèves dans un lycée professionnel.
Pour en revenir à l’envie d’en faire mon métier, je crois vraiment que c’est le fait de rencontrer des musiciens de mon âge et de jouer ensemble dans cet orchestre qui a allumé quelque chose en moi. Mais j’aimais aussi la folie des musiciens et leur vie de noctambules m’attirait beaucoup !
Dans ton monde idéal, comment se ferait l’éducation aux arts ?
En fait, je ne sais pas si tout le monde a besoin et envie d’avoir accès à l’art. J’ai l’impression que ce qui est gênant c’est quand ça devient obligatoire, réglementé et académique. J’ai beaucoup de copains et copines qui ont grandi en allant au conservatoire où l’on voulait faire d’eux des supers musiciens… Et en fait, dès qu’ils ont pu arrêter, ils ont arrêté, parce que ça les a dégoutés ! Cette excellence du conservatoire ne concerne peut-être que 5% des gens qui font de la musique. Les autres ont juste envie d’un loisir et de faire de la musique pour s’éclater. Il serait donc important de faire cette éducation en douceur, en essayant d’être le plus possible à l’écoute de ce que recherchent les jeunes dans un domaine artistique. Il ne faudrait pas que ce soit trop codé et formaté.
J’aimerais proposer une vision plus ouverte et plus libre des choses. On continuerait à enseigner le croquis et les proportions par exemple mais seulement à ceux qui ont envie d’aller plus loin en dessin. On enseignerait toujours le solfège aussi mais uniquement à ceux qui ont envie de lire la musique. Pourquoi commencer par enseigner le solfège à des enfants qui ne s’y intéressent pas et qui veulent juste jouer un peu de musique ?
Mais je ne suis pas prof… et je comprends que l’enseignement dans des proportions nationales doit avoir d’autres contraintes. On ne peut pas facilement se mettre à l’écoute des différences de chacun. C’est dommage, parce que je pense que la meilleure manière d’éduquer un enfant c’est de l’écouter et de respecter ce qu’il est et son rythme personnel. C’est un peu paradoxal mais si c’était possible, l’idéal serait de pouvoir s’adapter à tous les enfants et d’avoir le temps de le faire.
Quel genre de musique écoute ta fille ?
Elle a 6 ans et demi et elle est moyennement branchée musique. Par contre, elle demande souvent les musiques de ses dessins animés et elle a beaucoup écouté la Reine des Neiges ! Elle n’a pas encore de rapport autonome à la musique et ce qu’elle écoute vraiment ce sont des histoires. En fait, elle est plutôt branchée sur le texte et sur le dessin. Elle dessine énormément. C’est parfois un peu frustrant mais je n’ai pas du tout envie de la conditionner. Je la laisse suivre son chemin : ma fille ce n’est pas moi et si ça se trouve, elle n’aimera pas la musique !
As-tu déjà eu l’occasion de faire des rencontres avec des élèves et quel souvenir en gardes-tu ?
J’en garde un très bon souvenir même si j’ai l’impression de ne pas y être tout à fait à ma place ! Je suis en général très loin des goûts musicaux des élèves. Du coup, j’ai l’impression d’être un vieux dinosaure ! Un peu comme si Robert Desnos ou Prévert était venu dans ma classe quand j’étais petit. Je me serais dit : « c’est qui ce vieux monsieur avec sa pipe ou sa clope ? ». Je sais que j’arrive comme un papi dans une salle de classe ! C’est très sympa mais aussi un peu décalé. Mais il y a quelque chose de très émouvant et de très chouette qui se lie dans les conversations et dans les relations avec les élèves. C’est toujours très intense et jouissif.
Par contre, ça demande beaucoup de temps et j’ai quand même fait le choix de ne pas trop consacrer directement mon temps à ça. Ça reste donc assez rare.
Quelle musique écoutes-tu aujourd’hui ?
J’écoute vraiment de tout. Il y a des choses que j’aime dans tous les styles et des choses que je n’aime pas du tout dans tous les styles aussi ! Il n’y a pas de style de musique qui ne me plaise pas du tout. Et il y a des choses que j’écoute peu par inculture… en fait, il y a des gens dont j’aime le rapport à la musique dans tous les styles : ça va de Marilyn Manson à la musique baroque. Toutes les musiques peuvent m’intéresser… Par contre, je n’écoute pas toutes les musiques au petit-déjeuner ou juste avant de m’endormir !
Parmi les jeunes artistes français ou francophones que tu as découverts récemment, y en a-t-il dont l’univers te touche particulièrement ?
Oui ! Il y a par exemple Clara Luciani que j’aime vraiment beaucoup. Encore plus récemment j’ai découvert Eddy de Pretto. Avec lui, il m’est arrivé une chose qui ne m’était pas arrivée depuis longtemps, voire qui ne m’était jamais arrivée ! C’est-à-dire qu’il a écrit une chanson que j’aurais vraiment aimé écrire : il s’agit de Kid, un texte qui parle de la virilité et des enfants vus par leurs parents. Je trouve cette chanson vraiment dingue ! C’est une thématique que j’ai déjà abordée dans mes chansons mais lui le fait d’une façon fracassante, tout en étant dans l’air du temps. Et il arrive à la communiquer à des gens jeunes, ce dont je suis bien incapable ! Je ne m’en plains pas mais je trouve ça super qu’un mec jeune arrive à dire ça et à s’adresser en même temps aux plus adultes et aux plus jeunes. Je suis vraiment impressionné, cette chanson m’a épaté !
Merci d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Que vas-tu faire maintenant ?
Et bien, je vais repasser ma chemise pour le concert de ce soir à Metz…
Autant te dire qu’Albin de la Simone remporte ici la palme de la conclusion d’interview la plus improbable !
Voilà, c’est fini… On se quitte avec ce clip qui me met systématiquement en joie.
Si tu as toujours rêvé de voir Albin de la Simone faire de supers chorégraphies avec Micha Lescot, ton rêve est sur le point de se réaliser :
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