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Dans le noir avec Safia

    Safia Nolin est en tournée en France. Et Devine où je suis… ne voulait manquer ça sous aucun prétexte ! A 26 ans seulement, cette jeune artiste québécoise, qui possède une voix et des talents d’écriture et de composition hors normes, vient de sortir son deuxième album intitulé Dans le noir. Elle est d’ailleurs déjà largement connue et reconnue dans son Québec natal, où elle collectionne les prix et trophées musicaux en tous genres tout en remplissant les salles aux 4 coins du pays.

    A Paris ce lundi, elle s’offrait même le luxe d’inviter Pierre Lapointe à partager la scène avec elle le temps d’une mémorable « Drôle d’époque », superbe reprise de la chanson de Clara Luciani. Pomme faisait également partie de la fête.

    Ceci dit, en bonne représentante de l’ouest, c’est à Rennes que je l’ai rencontrée en fin de semaine dernière, dans le magnifique cadre du Balthazar Hôtel & Spa (que tu peux découvrir ici !). Merci à toute l’équipe pour son accueil et ma reconnaissance éternelle à Patricia (qui se reconnaitra) pour avoir rendu cela possible.

    Pour te mettre dans l’ambiance, et charmer tes oreilles au son de ce doux accent d’outre-Atlantique, j’ai commencé par embarquer Safia dans ma Machine À Remonter Les Tympans…

    Voici le résultat (pour information, aucun membre du personnel de l’hôtel n’a été blessé pendant le tournage) :

    Maintenant que tu as sa douce parlure dans l’oreille, imagine-la en lisant la suite de l’interview !

    Safia, tu as déjà fait plusieurs tournées en France, qu’est-ce que cela représente pour toi de chanter ici ?

    C’est toujours vraiment l’fun ! C’est différent du Québec et ça fait du bien de sortir de la maison parfois pour explorer d’autres choses. Mais c’est aussi plus difficile. Disons que ça vient à la fois avec son lot de positif et son lot de stressant.

    En quoi cette tournée est-elle différente de tes précédentes tournées françaises ?

    Cette fois, c’est vraiment mon spectacle. En France jusque là, je faisais surtout des co-plateaux ou des premières parties. Là, c’est moi la tête d’affiche et j’ai parfois des premières parties. Le spectacle dure environ une heure et quart. J’y chante surtout les chansons du 2ème album (= Dans le noir, sorti le 5 octobre dernier au Québec et en France) ) avec seulement deux chansons du « vieil » album (= Le premier album, Limoilou, sorti en 2015).

    C’est aussi ça qui est différent : cette fois, je suis là pour jouer les chansons du nouvel album qui est sorti il y a juste un mois. En fait, je ne l’ai pas encore beaucoup joué sur scène, même pas au Québec.

    Quelles sont les différences que tu ressens entre les concerts que tu fais en France et ceux que tu fais chez toi ? Le public est-il différent ? Et toi, es-tu différente ?

    Au fond, c’est les deux : le public est différent et je suis différente aussi. Je pense que les spectacles ce sont beaucoup des transferts d’énergie. En France, les gens écoutent beaucoup, ils sont très attentifs. Mais ils se prononcent très peu et ils ne rient pas très fort. Alors qu’au Québec, le public est plus loud (plus bruyant) mais plus expressif aussi.

    J’avoue que c’est un peu déboussolant pour moi de me retrouver dans un contexte où les gens sont moins expressifs et d’arriver à livrer le même spectacle. Il faut essayer de ne pas être affectée par ça et se dire que c’est juste culturel et que ça ne veut pas dire qu’ils n’aiment pas. Du coup, moi aussi je suis plus timide et parfois plus gênée. Au Québec, je suis comme dans des pantoufles, je me sens chez moi, à la maison. Mais j’adore vraiment ça jouer ici parce que ça vient me chercher à d’autres endroits et que ça me fait vivre d’autres choses.

    Y a-t-il des artistes français avec lesquels tu aimerais travailler ?

    Oui. En fait il y en a vraiment beaucoup ! J’aime énormément Clara Luciani. Son album est magnifique. J’aime aussi beaucoup Pomme, Eddy de Pretto, Fishbach et Hollydays. Et j’adore aussi Blondino et Pi Ja Ma, qui sont moins connues.

    Quand j’écoute tes chansons, je me dis parfois que tu ne les écris que pour toi, peut-être seulement pour te faire du bien…

    C’est vrai : Je les écris juste pour moi ! C’est super égoïste ma démarche, c’est pour me faire du bien. Je ne pense jamais aux gens qui vont écouter sinon je pense que jamais je n’écrirais ces chansons !

    @jean-françois-sauvé

    Mais du coup, pourquoi penses-tu que ça touche autant de monde ?

    Je pense que les gens ont besoin d’extérioriser des choses. Et écouter des chansons tristes, ça aide à le faire. Moi ça m’arrive souvent d’écouter des chansons qui ne sont pas les miennes pour extérioriser certains trucs. Et ça marche bien ! Alors je me dis que les autres font un peu pareil avec mes chansons.

    Le titre de ce nouvel album est « Dans le noir ». Pourquoi avoir fait ce choix alors que ce n’est pas le titre d’une des chansons du disque ?

    Ce n’est pas le titre d’une chanson mais ce sont des mots que je dis plusieurs fois dans l’album. Je m’en suis rendue compte après avoir enregistré le disque et je me suis dit que je n’avais pas le choix : il fallait que ce soit le titre de l’album ! C’est aussi le titre d’une chanson que je vais sortir plus tard, peut-être en janvier.

    J’aimerais aussi que tu me parles de la chanson « Lesbian break-up song »  parce qu’elle est particulière autant par son thème que par le fait qu’elle est en partie chantée en anglais et en duo avec La Force (Ariel Engle).

    C’est vrai que c’est la première fois que j’écris une chanson avec de l’anglais. Je l’ai écrite pour deux raisons : D’abord parce que je trouvais qu’il n’y avait pas assez de chansons qui parlaient des femmes lesbiennes. Et ensuite parce que je trouvais qu’il manquait de chansons bilingues au Québec. Ça me gêne beaucoup. La scène musicale à Montréal est très (trop) divisée par la langue. Pourtant, il y a des gens incroyables et une scène forte autant du côté anglophone que du côté francophone. Alors j’ai voulu faire une espèce de pont entre les deux langues, les deux mondes, parce que je trouve qu’il n’y en a pas tant. J’ai beaucoup d’amis de l’autre côté et j’aimerais qu’on s’allie et qu’on soit ensemble, plus forts. En écrivant cette chanson-là, je savais exactement ce que je voulais : un duo de lesbiennes et de langues !

    Ce que j’admire particulièrement chez toi, c’est ta capacité à être complètement toi-même. Tu donnes l’impression d’assumer totalement ce que tu es. Comment en es-tu arrivée là ?

    C’est un vrai travail ! Il faut se battre contre ses instincts les plus profonds. Par exemple, quand je me suis dit : « Maintenant je vais arrêter de mettre une brassière (un soutien-gorge) et de me raser », ce sont des choses que j’ai trouvées vraiment difficile à faire ! Mais je suis contente d’avoir continué, d’avoir eu ce courage, et d’y être arrivée.  Parce qu’après le peu de temps où c’est difficile, il y a beaucoup de bon qui arrive.

    Et c’est beaucoup plus fun et plus plaisant pour moi d’être moi-même et de ne pas être dérangée par ce que les gens pensent. Le regard des autres ne m’affecte plus. C’est devenu une force. Mais ça a été très compliqué au début. Beaucoup de gens pensent que je suis extrême. Et les gens peuvent parfois être très durs avec les artistes. Mais la vie est trop courte pour que quelqu’un d’autre décide à ta place !

    As-tu remarqué des différences entre la façon dont les gens se comportent avec toi au Québec et en France ?

    Oui vraiment ! Ici, en France, personne ne me connait… Pourtant, il m’est arrivé de me faire agresser ou insulter dans la rue par des gens que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas. Là-bas, les gens me reconnaissent dans la rue et me parlent. En plus, il y a quelque chose de culturel : au Québec, tu n’insultes pas quelqu’un dans la rue, tu  ne lui dis rien de méchant, ça n’existe pas ça ! Tandis qu’en France, je me suis déjà faite agresser parce que j’étais avec une fille. J’ai l’impression que les choses peuvent être beaucoup plus violentes ici et ça me fait parfois peur.

    Par exemple, l’année dernière, dans les rues de La Rochelle pendant les Francofolies, quelqu’un m’a frappée dans le dos très fort parce que je me promenais main dans la main avec ma copine.

    J’étais tellement surprise et choquée que je n’ai rien réussi à répondre.

    Parfois, je me dis que je ne serais pas capable de vivre en France car il y a comme un climat général de misogynie, d’homophobie, de racisme et d’inégalités sociales. Et ça donne des tensions constantes et vraiment palpables. Je me souviens d’être passée de Paris à Londres l’année dernière. Et en une heure et demie de TGV, je me suis trouvée dans une vibe totalement différente, beaucoup plus libre, beaucoup plus sereine.

    Les gens sont comme ça parce qu’ils sont alimentés par les médias. J’ai l’impression qu’en France, les gens croient davantage aux médias. Au Québec aussi il y a des racistes mais c’est comme si les choses étaient beaucoup plus claires, avec des gens de droite et de gauche qui ont des valeurs totalement opposées. Alors qu’en France, j’ai l’impression que tout se mélange et qu’il y a des gens intolérants de tous les côtés. Du coup, je trouve qu’ici les homosexuels, les trans, les artistes, les noirs ou les arabes sont vraiment très courageux. J’ai envie de leur dire bravo et respect !

    A ce sujet, je viens de voir « Ouvrir la voix »(*), un super documentaire où des femmes noires françaises et belges sont interrogées sur plusieurs sujets liés à leur vie quotidienne. C’est triste parce que beaucoup d’entre elles disent qu’elles ont du mal à vivre en France. Elles se font constamment insultées et ne savent pas comment gérer ça, alors que la France c’est leur maison.

    (*) Long métrage documentaire réalisé par Amandine Gay donc tu peux découvrir un extrait ici.

    Pour en revenir à tes chansons, y a-t-il une chose que tu préfères entre enregistrer un album en studio ou faire de la scène ?

    J’aime vraiment tout. J’adore le studio. Mais faire de la musique en live et faire des spectacles, c’est ce que j’aime le plus, je crois. En fait, tout ça est tellement différent : être sur scène une heure et quart pour des personnes qui ont acheté un billet ou s’enfermer dans un studio en plein bois avec mes amis pour faire de la musique et l’enregistrer, ça n’a rien à voir ! J’aime les deux et je ne pourrais pas choisir. Pour le travail sur l’album, j’aime l’idée d’être comme dans une bulle dans un studio. Pour cet enregistrement, on s’est enfermés pendant 8 jours au Wild Studio à St-Zenon. C’est très beau et très perdu dans le bois (clique ici pour voir. Que tu sois musicien ou pas, ça devrait te faire rêver !). Au bout des 8 jours, on est sortis avec l’album terminé ! Je travaille très vite, je n’aime pas trop m’étendre. Mais on a aussi pris le temps de marcher, de faire des spaghettis, de jouer à des jeux et de faire des conneries !

    Tu as un talent fou pour t’approprier les chansons des autres et en faire des reprises extraordinaires. Quel plaisir trouves-tu dans cet exercice ?

    En fait, ça vient de mon fantasme avec des chansons que j’aimerais entendre totalement dénudées. Du coup, je me donne le plaisir de le faire. J’ai envie de mettre ces chansons-là à nu et de voir comment elles peuvent briller. Parce que parfois l’arrangement est désuet ou prend trop de place et on n’entend plus l’auteur ou le compositeur derrière. Moi j’ai envie de les remettre à l’avant ! Et vu que personne d’autre ne l’a fait, que la chanson n’existe pas comme j’aimerais l’entendre, je le fais !

    A ce sujet, y a-t-il des reprises dans ton nouveau spectacle ?

    Oui, je reprends une chanson de Evanescence. Et puis je reprends aussi une chanson de Notre Dame de Paris même si c’est un peu une blague. Je chante « Belle » avec Joseph, le musicien qui m’accompagne sur scène depuis 3 ans.

    Merci infiniment à Safia de s’être patiemment prêtée au jeu de mes questions.

    Quant à toi, cher lecteur, tu sais maintenant que tu dois t’enquérir de ses prochaines dates près de chez toi pour la découvrir sur scène. Si tu as de la chance, tu peux aller la voir ce jeudi 15 novembre au Pédiluve à Châtenay- Malabry (tiens ça me rappelle ça…). Sinon, il te faudra attendre patiemment son retour en France… Ou alors traverser l’océan pour la voir au cours de sa longue tournée prévue en 2019 dans l’ouest canadien, et notamment au Québec.

    Terminons en musique avec une magnifique version d’une chanson du premier album ici (avec Martine St-Clair, Patrick Watson et Louis-Jean Cormier, s’il vous plait !) :

    Et une chanson du dernier album là :

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    2 commentaires sur “Dans le noir avec Safia”

    1. C’est dur, ce qu’elle dit au sujet de la France pour une femme qui se promène dans la rue main dans la main avec sa copine. Mais en même temps c’est bien de le lire. Ca nous remet à notre place, nous qui avons une facheuse tendance à donner des leçons de morale au monde entier sous pretexte que nous sommes le pays des droits de l’homme.
      C’est une bonne chose de lire nos propres limites à ce sujet.

      Et au passage, c’est génial de pouvoir lire une interview qui assume ce genre de truc sans tronquer les propos de la personne sous couvert du fameux « politiquement correct ». Devine où je suis? Au pays de la sincérité, on dirait.
      Franck

    2. Merci Franck d’être passé par là ! Et merci pour les compliments aussi ! Devine où je suis aime l’art, la liberté et la vérité plus que tout 😉
      Quant à ce que dit Safia sur ce qu’elle ressent et vit en France, j’y souscris aussi… Malheureusement.
      C’est un constat que j’ai fait en miroir : par la liberté et la sérénité ressenties en voyageant régulièrement au Canada, en Angleterre ou dans d’autres pays. Les regards négatifs y sont en effet moins pesants et le sentiment de pouvoir être soi-même plus présent.

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