C’est au bord de la Mayenne, un dimanche après-midi, que nous avons rencontré Pauline de Tarragon et Sacha, sa mignonne petite chienne. Pauline alias Pi Ja Ma a 27 ans et déjà plus de dix ans de carrière artistique. C’est une musicienne, chanteuse et illustratrice des plus talentueuses. Son disque Seule sous ma frange est sorti début 2023, quelque mois seulement après le livre Sous les paupières qu’elle a co-écrit avec Claire Pommet alias Pomme.
L’univers musical indie pop de Pi Ja Ma est éclectique et pétillant, à l’image de la complicité joyeuse et décalée qui lie Pauline à son producteur et co-compositeur Axel Concato. Chantées tour à tour en français et en anglais, les chansons de Pi Ja Ma mêlent naïveté et questions existentielles, joie et mélancolie.
Un exemple en deux chansons de Pi Ja Ma :
Nous suivons Pi Ja Ma depuis longtemps mais c’est la première fois que nous avons l’occasion de papoter vraiment avec Pauline. La rencontre se passe dans un parc au bord de la rivière, juste après la fin de son concert en duo avec Axel. Sacha, la petite chienne, s’égaye quant à elle dans l’herbe en tentant d’attirer notre attention par mille et un moyens rigolos.
Nous nous rencontrons en sortie de scène. Comment te sens-tu à la fin d’un concert de Pi Ja Ma ?
L’après concert, c’est souvent un moment plutôt cool où tu réalises vraiment ce qui vient de se passer. On se dit « c’est bon, c’est fait» et il y a du soulagement. Et puis on boit des coups ! Parfois, on n’a pas envie que ça se termine. Et parfois on peut être content que ça s’arrête parce qu’on a l’impression d’avoir fait pile ce qu’il fallait et le temps qu’il fallait. Tout à l’heure par exemple on a eu un rappel et c’était très bien. Mais j’ai l’impression qu’il ne fallait pas que ça dure beaucoup plus longtemps parce que c’était très intense et qu’il faisait très chaud. Et puis comme c’était gratuit et en extérieur, c’était un peu le bordel… Mais un joyeux bordel !
Tu as pas mal de cordes à ton arc et tu explores beaucoup de champs artistiques. Comment les arts sont-ils entrés dans ta vie ?
Je suis assez introvertie et, petite, j’étais très timide. Je n’aimais personne sauf mes parents et mes grands-parents et j’adorais être seule et dessiner. En fait, je n’ai jamais arrêté de dessiner ! Souvent, les gens arrêtent le dessin à l’adolescence parce qu’ils pensent que c’est une activité de bébé. Mais moi je me suis toujours fait des copains qui aimaient dessiner, même en grandissant, et on dessinait ensemble.
Quand je me suis rendue compte qu’il y avait des études de dessin, de graphisme et d’illustration, je me suis dit que j’allais continuer là-dedans, même si on m’a toujours dit que je n’allais gagner aucun argent et que ce serait très compliqué. Mais je ne voulais faire que ça ! Il y avait plein de matières à l’école où j’étais super nulle, sauf en arts plastiques et en anglais.
Heureusement je n’étais pas d’une famille d’avocats ou de médecins et mes parents avaient une fibre artistique. Mon père a fait les Beaux-Arts quand il était jeune et ma mère travaille dans la mode et les vêtements. Ils m’ont donc laissée faire ce que je voulais et ça s’est bien passé ! De toute façon, j’étais tellement obsédée que je ne faisais que ça : faire des dessins, les poster sur internet, échanger avec des gens qui dessinent, etc. J’ai publié mon premier livre très jeune.
La musique c’était dans ma famille aussi.
On en écoutait tout le temps et ça s’associait bien avec le dessin. J’ai commencé ma carrière musicale quand j’avais 16 ans en participant à l’émission La Nouvelle Star. Mais ce n’est que plus tard que j’ai commencé à prendre la chanson au sérieux.
En y pensant, même aujourd’hui, je crois que je préfère le dessin à la musique. Dessiner je le fais au quotidien alors que la musique, parfois je n’en fais pas du tout pendant une semaine. Avant-hier je me suis dit que j’avais envie de faire de l’animation et il n’y a pas longtemps, je me suis racheté de la peinture. Je peins beaucoup en ce moment. Je me suis aussi mise à la céramique ! J’ai souvent de nouvelles envies. Et puis j’ai toujours un carnet sur moi. Il n’y a aucune journée où je ne dessine pas et où je n’écrive pas.
En fait, les passions de Pauline se complètent souvent. La preuve dans son dernier clip :
On t’avait croisée il y a 7 ans au Chantier des Francos. Tu avais 20 ans. Quelle est la différence entre la Pauline Pi Ja Ma de cette époque-là et celle d’aujourd’hui ?
Il y a une grande différence ! Je me souviens que le premier jour du Chantier des Francos, je m’étais faite un peu engueulée par Christophe Mali (qui faisait travailler la scène). Il m’avait dit un truc du genre « si t’as pas envie d’être là, tu rentres chez toi ». Je n’étais pas du tout sûre de moi. Je ne savais pas vraiment si je voulais faire ce métier et je me sentais mal à l’aise sur scène. J’aimais faire de la musique mais je ne me sentais pas moi-même sur scène et je m’obligeais à faire des choses que je n’aimais pas. Je n’osais pas faire les mêmes blagues que dans ma vie parce que j’avais peur que ce soit inapproprié. Et puis j’étais trop concentrée sur le chant et je ne bougeais pas assez.
Ce n’est qu’au fur et à mesure que je me suis vraiment mise à faire ce que j’avais envie, à m’amuser, à oser raconter n’importe quoi ou à arriver en chaussons sur scène ! Je n’ai plus cette impression de m’être totalement trompée de vocation. Mais il m’arrive encore parfois, en plein concert, de me demander ce que je fais là !
Je me demande aussi pourquoi je fais ça : est-ce que j’ai uniquement besoin de reconnaissance ou est-ce que j’aime vraiment ça ?
Il y a beaucoup de choses différentes dans ce métier : la scène, le studio, le fait de vendre ses disques, etc. Moi j’adore faire de la musique et la partager sur scène, mais dès qu’il faut se vendre ou dire aux gens d’acheter mon album, je me dis que ça n’a aucun sens ! Heureusement, je ne suis pas toute seule et j’arrive toujours à me remotiver. C’est important d’être bien entourée, sinon on peut vite devenir fou dans ce métier !
A ce sujet, tu parles souvent de santé mentale sur les réseaux sociaux. En quoi est-ce important pour toi de parler publiquement de ces questions ?
C’est à la fois pour me libérer moi-même et pour dire à d’autres : « ne t’inquiète pas, tu n’es pas tout.e seul.e ». Quand d’autres personnes en parlent, moi ça me fait du bien. Et quand j’en parle moi, certaines personnes me disent merci. D’ailleurs, je pense que c’est en partie ça l’objectif quand tu fais de l’art : te sentir moins seule et permettre aux autres de se sentir moins seul.es.
Je ne réfléchis pas trop et je n’ai pas envie de faire semblant quand je suis au fond du trou. Pendant longtemps on m’a dit que c’était normal que je pleure et que je fasse des crises d’angoisse parce que j’étais une artiste. Mais ce n’est pas vrai ! Je me dis que parmi les gens qui me suivent, il y en a qui n’ont pas des familles branchées sur la santé mentale. Ces personnes pourront se dire : « ah la fille que je suis sur Instagram, elle vit des choses qui ressemblent à ce que je vis». Et cela peut leur permettre de contacter des psychiatres ou des psychologues pour en parler.
Malheureusement, j’ai l’impression que c’est aussi un peu une mode pour les artistes en ce moment de dire qu’ils ont des problèmes de santé mentale. C’est vendeur et ça attire l’attention. Et puis, il y en a qui disent que c’est bien d’aller mal pour mieux composer, mais non ! Quand tu vas vraiment mal, tu ne composes pas forcément bien et tu peux avoir plutôt envie de te suicider ! D’un autre côté, c’est vrai que quand je ne suis pas bien, faire une BD ou écrire une chanson peut me permettre d’aller mieux. Il y a un véritable effet sur le cerveau !
Tu fais partie d’une bande d’ami.es artistes (Pomme, Yoa, November Ultra, Trente, Thx4crying, …). Quelle place ont-ils dans ta vie ?
Ce sont des gens que je connais depuis quelques années. Quand je suis sortie de mon école d’illustration, cela a été très utile pour moi de trainer avec des gens qui étaient dans le milieu de la musique. Aujourd’hui on est chacun.e à un moment différent de notre carrière et personne ne fait vraiment le même style de musique.
Parfois je me dis qu’avoir des amis artistes ça peut être embêtant parce que tu passes ton temps à ne parler que de ça, que personne n’a d’horaires fixes et que tout le monde est un peu fou ! Mais que ce soit Hugo (Trente), Claire (Pomme) ou les autres, ce sont des vrais amis et on ne passe pas notre temps à parler uniquement du métier. Ceux qui pensent tout le temps à leur carrière, je les fuis comme la peste !
Avant de terminer, pourrais-tu partager avec nous tes dernières découvertes artistiques ?
Je conseille Sylvia Plath qui est une écrivaine américaine. J’ai adoré La Cloche de détresse où elle parle d’une jeune femme qui veut être poétesse et qui tombe dans la dépression. J’ai aussi découvert une rappeuse qui s’appelle Zinée. J’adore sa chanson Minitel. Je l’écoute tout le temps ! Comme je n’écoute pas trop de trucs modernes, je suis contente d’aimer ça, parce que sinon je me dis que je suis vraiment une vieille personne !
Je partage souvent les choses que j’aime sur Instagram ou sur ma chaine Youtube. J’adore ! Et j’aime aussi découvrir ce que les autres partagent.
Voilà, on a vraiment passé un joli moment avec Pauline et on tient à la remercier très fort pour sa sincérité. On remercie aussi Sacha qui a ponctué notre interview de ses jeux, mordillements et jappements joyeux ! Et on termine cet article avec Zinée parce qu’on l’adore aussi. D’ailleurs on en avait déjà parlé il y a deux ans dans cet article-là.